La Liberté

Nouvel : Un dernier au revoir

Un lendemain se profile à l’horizon. Il chasse les ténèbres du passé, mais peut-être remet-il simplement la lumière sur les fragments de ce bon vieux temps…

« Le vent se lève dans le lointain, il porte les promesses de demain et berce les souvenirs d’hier. » © hanzo.ai.art
« Le vent se lève dans le lointain, il porte les promesses de demain et berce les souvenirs d’hier. » © hanzo.ai.art

Kimy Dieu

Publié le 21.04.2024

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Article en ligne – Nouvelle » Il fendait l’air, faisant crisser sur les rails ses soupirs affamés. Sous la coupole de la nuit, les volutes de fumée que relâchait sa cheminée voltigeaient vers les méandres infinis du ciel, se mêlaient à la valse des nuages poussés par les caprices du vent. Rien ne semblait arrêter son éternelle traversée, tout paraissait pourtant l’éloigner, mètre après mètre, d’une destination dont il ne rêvait que des contours brumeux. En avant, voulait-il se diriger. Jamais en arrière.

 

Mais assis sur la banquette du train, il était de ceux auxquels le passé murmurait encore ses fragiles moments. Il les voyait. Tous. Ces rires et ces pleurs, ces visages et ces gens, à nouveau réunis derrière la vitre le séparant de ce monde qui changeait à toute allure. Ils lui tendaient leurs bras, mais seul un triste sourire leur parvint.

 

- Encore à rêvasser, fit soudain une voix.

- Peut-être bien, répondit-il sans détacher son regard sur le dehors.

- Est-ce que tu me vois ?

- Oui.

- Caché derrière ce cactus, fragmenté dans le ciel, ou éparpillé comme les grains de sable que ce train soulève ?

- Oui.

- Réellement ?

- Non.

- Ah ! Je retrouve là ton joyeux sarcasme !

- Il t’avait manqué ?

- Beaucoup de choses me manquent chez toi, chef. Pourtant, il semblerait que ce n’est pas vraiment moi qui sois d’humeur nostalgique, n’est-ce pas ?

- Sans doute.

- Le temps avance, chef, et il se rapproche du moment où nous devrons nous quitter. Le sais-tu ?

- Je le sais… Mais pas maintenant. Pas tout de suite. Pas si vite.

 

L’éclat des étoiles fit cligner ses yeux, et d’un battement de cils, le silence retomba, emportant sous sa lourdeur les mémoires d’un homme heureux. Le train pulsait toujours sur ces rails qui veinaient le monde, peut-être avait-il même doublé de vitesse. Ses moteurs hurlaient leur rage et couvraient de leur colère l’écho de quelques larmes, car dans le cœur de la nuit battait tristement le chagrin d’un passager. La destination était-elle encore loin ?

 

- Encore à pleurnicher, résonna une autre voix.

- Toujours.

- Et pour qui verses-tu donc ces larmes cette fois-ci ?

- Pour des idiots qui ne les méritent pas.

- Tu sembles pourtant les apprécier, ces idiots, je me trompe ?

- Non.

- Alors pleure, gamin. Pleure en levant la tête, pleure en bombant le torse. C’était ce qu’ils te disaient, n’est-ce pas ?

- Oui.

- Et tu le fais à merveille, gamin. De là où ils sont, je ne doute pas qu’ils sont fiers d’avoir pu sécher tes larmes. Le sais-tu ?

- Je le sais ! Bien sûr que je le sais !

 

Après tout, sur ce chemin qu’il arpentait depuis si longtemps, à bord de ce train des victoires et des défaites, sans doute avait-il perdu de vue le dénouement de son voyage. S’était-il même arrêté à une station ? Était-il même descendu pour caresser l’air du dehors, humer le parfum du monde ? Il ne se souvenait plus, et cela n’avait plus d’importance. La destination, seulement la destination…

 

- La fin d’une histoire se termine, mais tant d’autres t’ouvrent leurs chapitres. Là-bas, fit une dernière voix.

- Je sais.

- Tu as toujours su, alors qu’attends-tu ?

- Vous.

- Allons, nous avons toujours été là. Et nous serons toujours là. Alors avance sans crainte, car nous emboîtons ta marche, pas après pas, nous sommes ton élan. Saute, car nous te tendons les bras. Vole, car nous te donnons les ailes. Mais tout cela, tu le sais, n’est-ce pas ?

- Oui, je le sais.

 

L’aube étirait ses bras à l’horizon, bâillait d’un sommeil qui avait duré trop longtemps. Il faisait beau, et le soleil dévorait la nuit d’une bouchée. Dans l’écho de ce jour naissant, le train s’élançait à sa poursuite, et avec lui, un passager qui n’attendait que de lire les chapitres d’une prochaine histoire. « Le vent se lève dans le lointain, il porte les promesses de demain et berce les souvenirs d’hier. »

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