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Tes mémoires m’ont rendu la mienne

Tes mémoires m’ont rendu la mienne
Tes mémoires m’ont rendu la mienne
Publié le 28.05.2020

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Lettre à nos aînés

Chère grand-maman, je n’avais aucun souvenir de toi. Du moins jusqu’à ces dernières semaines où, profitant du fameux confinement, j’ai enfin poursuivi la transcription de tes mémoires.

Tu as passé les dix dernières années de ta vie, de 1937 à 1947, clouée au lit par la maladie qui t’avait paralysé le côté droit. Et c’est après sept ans de cette maladie que, toi la droitière, tu t’es mise à écrire, de la main gauche, ton journal. Trois ans d’écriture et 519 feuillets remplis d’une calligraphie tourmentée mais à l’orthographe irréprochable, dans lesquels tu racontes ton enfance, ta jeunesse, tes voyages. Mais aussi les événements de la vie de ta famille, de ta maison, de ton quartier du Bourg… et des guerres aussi, puisque tu en as connu deux. Et la grippe espagnole (tiens, ça me rappelle quelque chose!).

Ainsi, moi qui ne savais presque rien de ta vie, voilà que je suis avec toi presque tous les jours. Je sais tes ennuis de santé, ta foi profonde, tes amitiés. Et ton amour de la montagne, le train de nuit jusqu’en Russie, l’Exposition universelle de Paris en 1900, la Ford T de ton papa… Bref je connais presque tout de toi, sauf tes amours, car comme tu l’écris: «Ce qui se passe dans un cœur de jeune fille ne s’étale pas sur le papier.»

J’arrive au feuillet 186. Nous sommes en 1943, année de ma naissance. Mes trois premières années et tes trois dernières sont intimement liées. J’apprends que je passais le plus clair de mon temps à tes côtés, toi immobilisée dans ton lit, moi faisant mes premiers pas. Moi qui ne t’ai pas connue, je sais maintenant à quel point nous nous aimions, et que le moindre de mes sourires te faisait oublier tes souffrances.

Comme tout le monde, je n’ai aucun souvenir de mes trois premières années. Mais, grâce à ton journal, je me rappelle de tout. Je peux dire que j’étais (déjà!) un oiseau de nuit qui tardait à s’endormir. Surtout, je découvre à quel point j’étais ta raison de vivre. Je ne peux m’empêcher d’en être fier, et un peu triste de ne me souvenir de rien.

Ces dernières semaines, tu es devenue mon alliée, toi qui, pendant dix ans, n’as eu «d’autre horizon que le plafond de ma chambre»… Ça remet un peu le confinement d’aujourd’hui à sa juste mesure! Le 6 avril 1947, quelques jours avant de partir pour le paradis, tu écris: «François aura bien une petite place dans son petit cœur pour y caser grand-maman.» J’avais un peu plus de 3 ans. J’en ai maintenant presque 80. Voilà, la place est faite. A bientôt.

François Ménétrey Lecteur, Corminbœuf


» Cette opération de solidarité est lancée de concert avec d’autres quotidiens régionaux de Suisse romande: Le Quotidien Jurassien dans le Jura, Arcinfo à Neuchâtel, Le Journal du Jura (Berne francophone) et Le Nouvelliste, en Valais. La Côte, basée à Nyon, et le magazine Générations se sont également joints au mouvement.

Mais la solidarité ne se confine évidemment pas aux seules rédactions. C’est pourquoi nous vous lançons un appel, à vous, chers lecteurs: écrivez vous aussi votre lettre à nos aînés et faites-nous la parvenir par courriel à l’adresse suivante: redaction@laliberte.ch. Nous publierons les plus belles dans nos prochaines éditions.

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